Interview Kilian Jornet sur sa traversée des Pyrénées [vidéo]

Interview Kilian Jornet sur sa traversée des Pyrénées [vidéo]

En mai 2023, Kilian Jornet a une fois de plus repoussé les limites du possible en réalisant un projet extraordinaire. Le célèbre athlète de montagne a traversé les Pyrénées en reliant les principaux sommets de plus de 3 000 mètres, un défi qui l’a vu parcourir 486 km et grimper un impressionnant 43 000 mètres de dénivelé positif, tout cela en seulement huit jours. C’est à l’occasion de l’avant-première de son film Into The Unknown, retraçant cette aventure, que nous avons eu l’opportunité de nous entretenir avec lui. Loin de se contenter de relater simplement l’exploit, Kilian a partagé avec nous ses réflexions profondes sur sa pratique, son rapport à la montagne et son insatiable besoin de se dépasser.

La genèse d’un projet hors norme

Comment t’est venue l’idée de traverser les Pyrénées en atteignant les sommets de plus de 3 000 mètres ?

Kilian Jornet : « C’est un projet auquel je pensais depuis plusieurs années. La chaîne des Pyrénées est un terrain de jeu que je connais bien, c’est là que j’ai grandi. Mais jusqu’ici, je n’avais jamais tenté un tel enchaînement sur une période aussi courte. Le défi consistait non seulement à atteindre ces sommets emblématiques, mais aussi à le faire en un temps limité. Le but n’était pas simplement de réussir, mais de voir jusqu’où je pouvais pousser mes limites physiques et mentales. Chaque sommet, chaque passage, a une signification pour moi. Il y a un lien émotionnel avec ces montagnes, et les traverser de cette manière était pour moi un hommage à leur beauté et à ce qu’elles m’ont appris. »

La préparation, entre endurance et mental

Comment as-tu préparé un tel exploit ? Quel type d’entraînement cela demande-t-il ?

Kilian Jornet : « Ce type de projet demande une préparation très spécifique. Je m’entraîne bien sûr tout au long de l’année, mais pour un défi comme celui-ci, j’ai dû adapter mon approche. Il ne s’agissait pas seulement de travailler sur l’endurance ou la vitesse, mais surtout sur la capacité à enchaîner des jours d’effort intense avec peu de récupération. J’ai fait beaucoup de sorties longues en montagne, parfois sur plusieurs jours, afin d’habituer mon corps à l’effort continu. Ce qui est peut-être le plus difficile, c’est la gestion du mental. Huit jours à un tel rythme, sans réel repos, exigent une énorme capacité à rester concentré, à garder l’envie et à surmonter les moments de doute. J’ai aussi porté une attention particulière à la récupération, avec un focus sur le sommeil, même si lors de la traversée, j’ai très peu dormi. »

L’expérience en montagne, un retour aux sources

Pendant ces huit jours, quelles ont été les plus grandes difficultés auxquelles tu as dû faire face ?

Kilian Jornet : « Le premier défi, c’était la météo. Même en mai, les Pyrénées peuvent être capricieuses. Il y a eu des jours où j’ai dû composer avec des tempêtes de neige, des vents violents et des températures glaciales en altitude. Ces conditions ajoutent une complexité supplémentaire à l’effort physique. Ensuite, il y a la gestion de la fatigue. Quand on atteint les sommets les plus hauts, les efforts se cumulent. Après quelques jours, les muscles sont endoloris, et le corps est au bord de l’épuisement. Mais c’est justement dans ces moments-là que le mental prend le relais. Il faut accepter la douleur, la fatigue, et continuer à avancer. Chaque sommet atteignant les 3 000 mètres représentait une petite victoire, mais aussi une nouvelle difficulté à surmonter, car après l’ascension, il fallait encore redescendre et repartir vers le suivant. »

L’importance de l’environnement et du respect de la montagne

Tu as souvent parlé de ta relation intime avec la nature et la montagne. Comment cet aspect a-t-il influencé ton approche de ce projet ?

Kilian Jornet : « La montagne, c’est ma maison. Depuis tout petit, j’ai grandi entouré par ces paysages, et je ressens un profond respect pour eux. Pour moi, traverser ces sommets n’était pas seulement une performance physique, c’était aussi une manière de me reconnecter avec cette nature que j’admire tant. J’ai toujours essayé de minimiser mon impact environnemental dans mes projets. Pendant cette traversée, je me suis efforcé de rester léger, de limiter mon matériel au strict minimum et de m’approvisionner de manière responsable. Quand on passe autant de temps en montagne, on réalise à quel point cet environnement est fragile. Cela me renforce dans ma volonté de préserver ces lieux et de sensibiliser les autres à leur importance. »

La dimension mentale et spirituelle de l’effort

En tant que spectateurs, nous voyons souvent seulement l’exploit physique, mais qu’en est-il de l’aspect mental et spirituel ?

Kilian Jornet : « Il est vrai que beaucoup de gens se focalisent sur l’exploit physique, mais pour moi, la dimension mentale est tout aussi importante, voire plus. Ce genre de projet devient une sorte de méditation en mouvement. Pendant ces longues heures seul en montagne, on se retrouve face à soi-même, à ses pensées. Il y a des moments de doute, de questionnement, mais aussi des moments de plénitude absolue où tout semble aligné : le corps, l’esprit, et l’environnement qui t’entoure. Traverser les Pyrénées de cette manière m’a permis d’entrer dans un état presque transcendantal, où l’effort physique devient une forme de libération mentale. À chaque sommet, je ressentais une sorte de connexion avec quelque chose de plus grand que moi. »

L’inspiration pour la nouvelle génération

Quel message souhaites-tu transmettre à travers ce projet et aux jeunes athlètes ou passionnés de montagne ?

Kilian Jornet : « Mon message, c’est que chacun peut trouver son propre chemin en montagne. Il ne s’agit pas forcément de battre des records ou de réaliser des performances extrêmes. Ce qui compte, c’est d’apprendre à connaître ses limites, de les repousser, mais aussi d’apprendre à respecter l’environnement dans lequel on évolue. J’espère que cette traversée pourra inspirer d’autres personnes à se lancer dans leurs propres aventures, qu’elles soient grandes ou petites. Pour moi, le plus important est de rester humble face à la nature, de ne jamais sous-estimer les risques et de toujours garder à l’esprit que l’aventure, c’est aussi un état d’esprit, une quête intérieure autant qu’extérieure. »

Le rôle de la communauté dans l’aventure

Bien que tu aies réalisé ce défi en solo, quel rôle joue la communauté dans ce type de projets ?

Kilian Jornet : « Même si j’ai traversé les Pyrénées seul, je n’aurais pas pu le faire sans le soutien de nombreuses personnes. Il y a d’abord ma famille, mes proches, qui me soutiennent constamment dans mes projets, mais aussi tous les bénévoles, les amis montagnards, les partenaires qui m’ont aidé dans la logistique, le ravitaillement, ou simplement par leurs encouragements. La montagne peut parfois sembler un environnement solitaire, mais on n’est jamais vraiment seul. Chaque personne que j’ai croisée ou qui m’a aidé d’une manière ou d’une autre a contribué à cette réussite. C’est aussi pour cela que je souhaite partager cette aventure à travers le film Into The Unknown, pour montrer que derrière chaque exploit, il y a une véritable communauté. »

L’avenir et les prochains défis

Après un tel exploit, comment envisages-tu la suite ? As-tu déjà de nouveaux projets en tête ?

Kilian Jornet : « Chaque projet me donne envie d’aller plus loin, mais pas nécessairement dans la même direction. Je ne cherche pas à toujours faire plus ou plus vite. Ce qui m’intéresse, c’est de découvrir de nouvelles façons de m’exprimer en montagne, de nouveaux défis, qu’ils soient physiques, techniques ou mentaux. Il y a encore tant de choses à explorer. J’aimerais aussi passer plus de temps à partager mes connaissances et à sensibiliser le public à l’importance de protéger ces environnements fragiles. La montagne est un terrain infini d’apprentissage et d’aventure, et je suis convaincu que l’on peut toujours trouver de nouvelles manières de s’y connecter. »

Un homme, une montagne, un rêve

Kilian Jornet incarne à la perfection ce que signifie être un athlète de l’extrême, mais aussi un amoureux de la nature et un gardien de la montagne. Cette traversée des Pyrénées n’est pas simplement un nouvel exploit à ajouter à son impressionnant palmarès ; c’est un témoignage de son engagement envers la nature, son amour de la montagne, et sa volonté de toujours repousser les limites de ce qui est possible, tout en restant connecté à l’essence même de la vie en pleine nature. Into The Unknown ne raconte pas seulement une aventure physique, mais aussi une quête intérieure, une invitation à repenser notre rapport à l’effort, à la montagne, et à la nature qui nous entoure.

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