Faire l’Everest en hiver [ Reportage ]

Faire l'Everest en Hiver [ Reportage ]

L’Everest. Son nom seul inspire des frissons et représente l’ultime symbole du dépassement de soi dans le monde de l’alpinisme. Ce sommet mythique, qui s’élève à 8 848 mètres d’altitude, attire chaque année des milliers de passionnés en quête de défi extrême. Pourtant, ce n’est pas seulement la hauteur vertigineuse de l’Everest qui le rend périlleux. Les alpinistes doivent affronter des conditions extrêmes : des vents glacés, des températures polaires, et une raréfaction de l’oxygène qui fait de chaque pas un combat. Face à ces défis déjà intimidants, Jost Kobusch, un alpiniste allemand de renom, a décidé de repousser encore les limites : gravir l’Everest en plein hiver, en solitaire, sans oxygène supplémentaire et en empruntant une voie peu fréquentée.

Le projet de Jost Kobusch

Kobusch ne cherche pas seulement à atteindre le sommet de l’Everest. À travers cette ascension solitaire en hiver, il espère atteindre deux objectifs majeurs. Le premier est de se tester et de comprendre jusqu’où il peut pousser son corps et son esprit face à la nature dans toute sa puissance. Pour lui, cette entreprise représente la quintessence de l’aventure : une confrontation directe avec les éléments, où la survie dépend de sa propre résilience et de sa maîtrise technique. En renonçant à l’oxygène supplémentaire, en réduisant au minimum son équipement et en choisissant une période de l’année où le froid est polaire, Kobusch accepte pleinement les règles du jeu que lui impose la montagne.

Son second objectif est de dénoncer le tourisme de masse sur l’Everest, qui transforme le plus haut sommet du monde en une attraction touristique. Cette dénonciation découle d’une observation amère : la montée de l’Everest s’apparente de plus en plus à une simple marche à suivre, où l’aventure est pré-organisée par des agences, les files d’attente au sommet et les déchets laissés par les alpinistes sont monnaie courante. Kobusch rejette cette vision de l’alpinisme. Pour lui, gravir l’Everest ne devrait pas être une activité guidée par des tiers ni facilitée par l’utilisation de bouteilles d’oxygène et de sherpas qui rendent l’expérience moins authentique. Son ascension hivernale vise à montrer qu’un véritable alpiniste doit embrasser la montagne dans toute sa rudesse, sans chercher à en adoucir les contours.


Le reportage


L’Everest en hiver

L’ascension hivernale de l’Everest est bien plus que difficile : elle est presque inhumaine. En hiver, la température chute souvent en dessous des -40°C, des vents peuvent souffler à plus de 200 km/h et les risques d’avalanches sont amplifiés. La rareté de l’oxygène rend chaque geste douloureux. De nombreuses expéditions hivernales ont tenté l’Everest, mais très peu ont réussi. La montagne devient une forteresse glaciale où chaque pas est un acte de survie. La plupart des grimpeurs préfèrent tenter l’ascension au printemps, lorsque les températures et les conditions de vent sont relativement plus clémentes, même si elles restent extrêmement éprouvantes.

Dans ces conditions, gravir l’Everest en hiver est une entreprise redoutable, réservée aux alpinistes d’exception. Et même les plus aguerris ne parviennent souvent pas au bout du chemin. Depuis 1980, date de la première ascension hivernale par des grimpeurs polonais, très peu ont réitéré l’exploit, et aucun n’a osé le faire en solitaire et sans oxygène. Kobusch vise donc un défi dont l’issue est incertaine et où l’échec, sinon la mort, est une possibilité bien réelle. Ses précédentes expériences sur des sommets difficiles lui donnent toutefois confiance en ses capacités, même si l’Everest en hiver est d’une ampleur toute différente.

Un retour aux sources de l’alpinisme

Le projet de Jost Kobusch est un clin d’œil aux pionniers de l’alpinisme. À une époque où les équipements modernes n’existaient pas, les premiers alpinistes partaient avec un équipement rudimentaire, dépendant essentiellement de leur condition physique, de leur mental et d’un savoir-faire qu’ils perfectionnaient à chaque expédition. La démarche de Kobusch suit cette philosophie, car il réduit au maximum l’équipement de sécurité et de confort, renonce à l’oxygène, et opte pour une voie moins fréquentée. Cette approche minimaliste n’est pas motivée par une témérité inconsciente, mais par un désir de redonner du sens à l’ascension de l’Everest. Là où d’autres alpinistes dépendent du soutien d’une équipe pour réussir, Kobusch veut affronter la montagne seul, en toute humilité.

La question de l’éthique

Le tourisme de masse sur l’Everest a pris une ampleur inquiétante ces dernières décennies. Le sommet du monde est devenu une destination où les alpinistes amateurs, souvent sans expérience préalable, peuvent espérer atteindre la « zone de la mort » grâce au soutien d’agences spécialisées, de sherpas et de bouteilles d’oxygène. Le paysage à proximité du sommet est jonché de tentes abandonnées, de bouteilles d’oxygène vides, et même de cadavres qui, en raison des conditions extrêmes, ne peuvent être redescendus. Cette situation choque les alpinistes chevronnés comme Kobusch, qui considèrent que l’ascension de l’Everest doit être un exploit personnel, non une attraction.

En s’aventurant seul en hiver, Jost Kobusch rejette cette tendance et propose une autre vision de l’alpinisme : celle d’un défi personnel et authentique, où l’objectif n’est pas simplement d’atteindre un sommet pour cocher une case, mais de vivre une expérience intérieure intense, avec les risques que cela implique. Son projet incarne une protestation silencieuse, mais puissante, contre la marchandisation de la montagne.

Que pensent les experts et la communauté de l’alpinisme ?

Dans la communauté de l’alpinisme, le projet de Jost Kobusch suscite des avis partagés. Certains experts louent son courage et son éthique. Ils voient en lui un défenseur des valeurs originelles de l’alpinisme, une figure qui ose affronter des défis extrêmes pour préserver l’essence de cette discipline. D’autres, cependant, soulignent les dangers d’un tel projet. L’ascension hivernale en solitaire sans oxygène comporte des risques énormes, et certains estiment que ce type de défi frôle l’inconscience. Le moindre faux pas, une erreur de jugement ou un imprévu météorologique pourrait se révéler fatal. Pour Kobusch, la prise de risque fait partie de la démarche, mais cela ne convainc pas tous les alpinistes, dont certains estiment que ce type d’expédition pourrait donner l’impression d’un excès de témérité à des amateurs moins expérimentés.

Pour finir…

En envisageant de gravir l’Everest en plein hiver, seul et sans oxygène, Jost Kobusch nous rappelle la beauté et la dangerosité de la montagne. Il démontre qu’au-delà des statistiques, des records et du tourisme de masse, l’alpinisme est avant tout une confrontation personnelle avec la nature, un art où l’humilité, la patience et le respect du milieu montagnard sont essentiels. Ce projet audacieux s’inscrit comme une protestation silencieuse contre la marchandisation de l’Everest et le tourisme de masse qui dénature ce lieu sacré pour les alpinistes du monde entier.

La tentative de Jost Kobusch, quelle que soit son issue, aura une résonance dans le monde de l’alpinisme. Elle poussera peut-être d’autres passionnés à reconsidérer leur approche de la montagne, à chercher un lien plus authentique avec les sommets, en écartant les artifices et en acceptant la montagne telle qu’elle est.

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